Le colloque de l'ANAPI, le 15 octobre dernier, a été probablement l'ultime témoignage d'une telle dimension, apporté par douze de nos anciens, sur leur captivité dans les camps du Vietminh, pendant la guerre d'Indochine. C'était l'énoncé, à paroles égales entre ces douze hommes, d'un pan de notre histoire militaire, dont ils sont les gardiens d'honneur.
Oubliés d'une "guerre qui dérange" (l'ANAPI ne s'est constituée qu'en1985), souvent tus et parfois raillés, ils ont subi de longues années ou de longs mois, un traitement particulièrement traumatisant. Ils étaient les prisonniers d'un adversaire qui leur refusait les droits de la guerre et ont vécu dans des camps sans barbelé ni mirador, l'enfer d'une perversion invraisemblable : celui du déclassement moral, du chantage permanent à la mort, de l'avilissement physique.
Déclassés, ils ont été convaincus de l'être par les commissaires politiques car,aux yeux de leur adversaire, ils étaient frappés de l'infamie de la reddition. Un guerrier, selon cette conception, ne peut déposer les armes, ou être contraint de le faire. Ils sont donc devenus des guerriers déclassés, des sous-hommes.
Il fallait, pour vaincre leur esprit, anéantir leur résistance et leurs espoirs, les persuader que l'abandon dont ils étaient l'objet était la conséquence de leur défaite. C'était un des ressorts les plus utilisés par la "voix", celle des séances d'autocritiques collectives, celle-là même qui était omniprésente,brisant leur sommeil, accompagnant les corvées de transport dont dépendait leur maigre alimentation, les transformant en zombies décharnés.
Par devoir de mémoire, pour s'assurer non pas de leur reconnaissance, mais d'une désormais authentique compréhension de ce que fut leur calvaire, douze survivants sont revenus, dans un discours qui ne fait aucune place à la haine, sur un des sujets les plus sensibles de leur histoire, qui contribue à écrire la nôtre, en toute dignité.